Jean Teulé passe son enfance à Arcueil, où ses parents sont concierges à la mairie. En CM1, à l'école communale Jules-Ferry, il est le camarade de classe de Jean-Paul Gaultier, qui dessine déjà des costumes. Tous deux resteront en contact avec leur ancienne institutrice, qui a aussi enseigné la lecture à Bernard Fixot[1].
André Barbe, auteur de bande dessinée alors en vogue à l'époque, remarque une de ses illustrations chez un libraire d'Arcueil. Il le fait entrer à L'Écho des savanes.
Entré à L'Écho des savanes au numéro 44 de septembre 1978, Jean Teulé en devient immédiatement un pilier, y apparaissant sans discontinuer jusqu'au numéro 81, et figurant au sommaire du numéro 84, le dernier de la formule historique. Il s'inscrit dans la mouvance des auteurs qui travaillent à partir de photographies retravaillées, tels Jean-Claude Claeys ou les membres du Groupe Bazooka. Ses premiers récits sont publiés en collaboration avec Jean Rouzaud, puis il les réalise seul, faisant cependant figurer dans les crédits sa muse et coloriste Zazou. Fin 1981, le journal connaît cependant des difficultés financières croissantes et il disparaît en janvier 1982. Lorsqu'il est repris puis relancé par les éditions Albin Michel à la fin de la même année[2], Teulé ne travaille pas pour la nouvelle formule.
Teulé avait alors débuté l'adaptation du roman de Jean Vautrin, Bloody Mary, dont les premières pages étaient parues dans le dernier numéro de l’Écho. Publié par Glénat en août 1983, l'album rencontre le succès critique et obtient lors du festival d'Angoulême 1984 un prix remis par la presse spécialisée, lequel prend le nom de Prix Bloody Mary. À la fin de l'année 1983, Teulé entre à Circus, l'un des mensuels de la maison d'édition, et en reste un collaborateur régulier jusqu'en 1986. De 1984 à 1986, il publie également trois nouveaux albums aux éditions Glénat. Arrivé très rapidement à maturité, Teulé sent poindre le risque du système[3], et décide de changer d'approche.
En janvier 1986, il publie dans Zéro le premier de ses reportages en bande dessinée où il présente des personnages loufoques, des originaux, à la manière de l'émission Strip-Tease, apparue l'année précédente sur la chaîne de télévision belge RTBF1. Quelques mois plus tard, ces histoires sont publiées dans (A SUIVRE), le prestigieux mensuel de bande dessinée des éditions Casterman. Cette collaboration cesse en 1989 et débouche sur deux albums, Gens de France en 1988 et Gens d'ailleurs en 1990. En 2005, les éditions Ego comme x publient une intégrale augmentée de ces récits.
Pour Dominique Warfa, Teulé défend un « art de la distance[3] », une bande dessinée difficile, au graphisme travaillé sans être esthétisant et au propos complexe. En effet, Jean Teulé construit ses bandes dessinées à partir de photographies retravaillées par divers moyens (hachures, lavage, gommage, tramage, froissage, etc.) sur lesquelles il dessine et peint[4]. Chez lui, la photographie ne sert donc pas à assurer un plus grand réalisme au dessin, comme chez de nombreux auteurs réalistes classiques ; elle est à la base de sa pratique artistique. Cette pratique, commune à la fin des années 1970, peut conduire à des œuvres rigides, figées, comme chez Jean-Claude Claeys. Chez Teulé, l'image est en permanence mise en mouvement, dynamisée par les multiples altérations et modifications que son auteur lui fait subir.
Alors que les limites techniques de L'Écho des savanes l'avaient conduit à ne travailler initialement qu'en noir et blanc, Teulé a ensuite pu commencer à intégrer progressivement la couleur dans son œuvre[5]. Avec Bloody Mary, il peut l'utiliser sur un album entier. Là encore, la couleur ne sert pas à améliorer la lisibilité, à accroître l'effet de réel, mais sert le propos en augmentant la distance, le malaise.
Au réalisme tourmenté des images répond une interrogation du réel permanente et tourmentée[5]. Celle-ci est d'abord interrogation sur la représentation-même, sur la fiction et l'image. L'œuvre de Teulé ne se limite pour autant pas à l'interrogation méta-textuelle : il se fait le portraitiste amer de la banlieue oppressante des années 1980. Il n'hésite pas à se renouveler, adaptant Jean Vautrin pour sa première œuvre ambitieuse, ou tirant vers l'onirisme avec Filles de nuit.
Cette œuvre exigeante, au-delà des adhésions, génère aussi des incompréhensions. Ainsi, Wolinski, rédacteur en chef de Charlie Mensuel juge les bandes dessinées de Teulé « trop compliquées[3] ».
Avec Fleur de Tonnerre et auparavant Mangez-le si vous voulez, Teulé s'inscrit dans l'école française du True crime, un genre littéraire essentiellement anglo-saxon.
À la ville, Jean Teulé est le compagnon de l'actrice de cinéma Miou-Miou[6].